© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Des deux côtés de la rivière, Comines, l’incontournable

Tomas Vanheste

Texte

[Traduit du néerlandais par Pierre Lambert]

Les deux Comines, situées sur les rives de la Lys, de part et d’autre de la frontière franco-belge, ont formé une seule commune jusqu’en 1713. «La collaboration avec Comines France est mon pain quotidien», note la bourgmestre belge Alice Leeuwerck.



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Sur la carte qui orne son bureau à l’hôtel de ville, Alice Leeuwerck indique les trois sections de la commune qu’elle administre: Comines, Le Bizet et Warneton. Un peu plus loin, le long de la frontière entre la Flandre-Occidentale et la France, ce ne sont que bois et champs des deux côtés. «Dans ces zones, les contacts et la coopération entre les citoyens sont moins fréquents», observe Leeuwerck.

En revanche, autour de la ligne de démarcation entre la province belge du Hainaut et la France, les maisons et les commerces forment un tissu urbain serré. «Ici, les gens traversent la frontière sans même s’en rendre compte. Il est donc logique que nous collaborions de façon plus intense avec les communes françaises qu’avec celles du nord, côté belge. Ce n’est pas une question de langue, mais de géographie.»

Mme Leeuwerck fait partie des vingt-huit plus jeunes bourgmestres du royaume, récemment conviés à un dîner au palais de Bruxelles. Elle avait vingt-sept ans quand elle s’est emparée de l’écharpe mayorale en 2018, grâce à sa première place sur la liste victorieuse d’Ensemble - Liste citoyenne d’ouverture à Comines-Warneton. Il semble qu’elle ait préféré cette fonction à un poste de ministre ou de député.

En juillet 2022, cette talentueuse femme politique de tendance libérale rejoint le Conseil des bourgmestres. L’hôtel de ville, où elle m’a accueilli, est situé à quelques centaines de mètres de la Lys. Il suffit de franchir le pont qui enjambe la rivière pour se retrouver dans la commune française de Comines.

«Avant 1713, date de la signature du traité d’Utrecht, nous appartenions au même pays et il y avait donc une seule Comines, explique la bourgmestre. Ce passé commun explique les liens qui subsistent entre les Belges francophones et les Français sur les deux rives de la Lys. Pendant la Première Guerre mondiale, la ville a été pour un bref temps réunifiée sous le contrôle de la Kommandantur Comines. Bien sûr, nous ne gardons pas un bon souvenir de cet épisode.»



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Comines-Warneton s’étend sur quinze kilomètres le long de la frontière et compte près de vingt mille habitants. Du côté français, les communes n’ont jamais fusionné. Armentières et Comines présentent une taille respectable, mais les autres communes sont plus modestes, avec une population de quelques centaines à quelques milliers d’habitants.

«Je dois me concerter avec sept maires français. En cas de problème, ils viennent tous me voir dans mon bureau en disant: Madame la Bourgmestre, il faut que nous discutions».

Néanmoins, ses confrères français n’ont pas toujours leur mot à dire.

«En Belgique, le bourgmestre et le collège des échevins ont un pouvoir beaucoup plus étendu que leurs homologues en France. Là-bas, de nombreuses compétences autrefois assumées par les maires relèvent désormais de la MEL (Métropole européenne de Lille, une structure intercommunale, ndlr).»



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Natation, skateboard et cyclisme


Leeuwerck collabore de façon particulièrement étroite avec Eric Vanstaen, qui a été élu maire de Comines France par le conseil municipal en 2020. Et ce à la surprise générale, car il n’occupait que la cinquième place sur la liste gagnante Un souffle d’avenir pour Comines.

«À vrai dire, c’est le même scénario que celui qui s’est produit chez nous», note Leeuwerck. À la faveur d’une nouvelle majorité, un nouveau maire a détrôné l’ancien, resté longtemps en place. Nous avons tous les deux un profil similaire, car il n’est pas non plus affilié à une famille qui joue déjà longtemps un rôle dans la politique. Nous collaborons de façon très intense sur une foule de projets variés.»

C’est notamment le cas dans le domaine sportif.

«Nous avons une piscine, alors que les Français n’en ont plus. La leur était trop vétuste et en construire une nouvelle aurait coûté trop cher. C’est pourquoi les écoles françaises utilisent maintenant notre piscine. Par ailleurs, les jeunes de Comines-Warneton voulaient disposer d’un skate-park, mais Comines France avait déjà un tel projet. C’est très bien comme cela. Vos jeunes peuvent venir nager chez nous et les nôtres iront faire du skateboard chez vous.»

Un autre bel exemple de coopération transfrontalière selon Leeuwerck est Le Beau Vélo de RAVeL. Il s’agit d’un parcours cycliste organisé chaque année par la RTBF (radio-télévision belge de la Fédération Wallonie-Bruxelles) sur le réseau autonome de voies lentes en Wallonie.

L’émission propose chaque samedi en été un reportage consacré à l’étape du jour en suivant les participants sur une trentaine de kilomètres. «Pour la première fois de l’histoire du programme, le parcours est aussi passé par la France en 2021, se félicite la bourgmestre.

Le Beau Vélo de RAVeL est parti de Comines-Warneton et a traversé la frontière pour continuer jusqu’à Armentières. Là, nous avons visité la ville avec le maire, avant de prendre le chemin du retour. C’était aussi une façon de montrer que nous avons beaucoup de choses en commun. De l’autre côté de la frontière, on est en Flandre française, mais on y trouve la même passion pour le cyclisme et la même culture que chez nous.»



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Fête franco-belge



Quiconque traverse rapidement les deux Comines par un jour pluvieux de décembre se fera sans doute une idée plutôt lugubre de ces villes jumelles. Pourtant, à y regarder de plus près, ces communes renferment des édifices tout à fait remarquables, comme le centre culturel de style brutaliste du côté belge et l’église néobyzantine Saint-Chrysole du côté français.

L’extérieur de cet édifice religieux est une pure merveille et son intérieur a de quoi plonger dans l’extase le plus radical des athées. Ces petites villes peuvent en outre se prévaloir d’une riche vie culturelle. L’un des temps forts de l’année est la Fête des Louches, que les deux Comines organisent de concert le deuxième dimanche d’octobre, et ce depuis 1884. Le cortège de chars s’ébranle en Belgique.

Les deux maires jettent des cuillères en bois du haut du beffroi, perpétuant une tradition qui s’inspire d’une légende médiévale: un seigneur de Comines, emprisonné dans une tour par les Anglais, aurait jeté une cuillère depuis sa cellule pour alerter la population, qui serait venue le délivrer.

«C’est une très belle tradition culturelle, mais son organisation est assez compliquée, souligne Leeuwerck. Nos policiers peuvent intervenir jusqu’au pont; au-delà, c’est la police française qui prend le relais. Pendant la pandémie de coronavirus, nous ne pouvions pas jeter de cuillères en bois au public depuis le cortège, alors que c’était autorisé en France. Après concertation, nous avons décidé d’appliquer les mêmes règles strictes des deux côtés. Évidemment, les Français n’ont pas beaucoup apprécié.»


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Un vent défavorable



La frontière entre les deux Comines passe au beau milieu de la Lys.

À l’issue du match de football France-Maroc en décembre 2022, la police a dû fermer le pont sur la rivière.

«Après la victoire de la France, une bande de petits voyous ont essayé de passer en Belgique pour nous narguer parce qu’ils avaient gagné contre le Maroc, alors que nous, nous avions perdu, explique Leeuwerck. Ils s’adonnent parfois à des activités illégales sur notre partie du pont parce qu’ils savent que la police belge ne peut pas les poursuivre en France.»

Un autre dossier épineux trouve son origine quelques kilomètres plus loin à l’ouest, à Warneton.

C’est là, au bord de la Lys, qu’est implanté le fabricant de pommes de terre surgelées Clarebout.
Au printemps 2021, le magazine belge Wilfried a publié un reportage sur ce qu’il a baptisé les «cowboys de la frite».
Il dénonçait la pollution de la rivière par l’usine, les conditions de travail déplorables et les nombreux accidents sur le site. Par ailleurs, le village français de Deûlémont, situé sur l’autre rive de la Lys, se plaint des fumées.

«Le vent souffle souvent du nord, de sorte que les habitants subissent le bruit et les odeurs désagréables», note Leeuwerck. Juste à côté, la Région Wallonne construit une plateforme portuaire. Les engins qui déchargeront les conteneurs provoqueront à leur tour des nuisances sonores.Je vais donc visiter un autre site portuaire en compagnie du maire de Deûlémont pour déterminer les mesures à prendre et les adaptations éventuelles à apporter au permis de construire. Les gens de Deûlémont en ont assez de l’odeur et des problèmes de mobilité. Ils ne veulent pas être mêlés à tout cela. Mais nous devons bien chercher une solution.»

Qui plus est, Electrabel prévoit également d’installer des éoliennes à proximité.

Si la zone est surtout occupée par des champs du côté belge, les habitants de Deûlémont, eux, auront une vue sur ces engins.

«Nous tenons à impliquer Deûlémont dès le début de la procédure pour résoudre les problèmes, souligne Leeuwerck. Nous avons entamé les premières consultations il y a deux ans. À l’époque, nous nous sommes heurtés à un mur. Mais il faut dire que la majorité des participants avaient plus de soixante ans. Je pense que la crise énergétique a fait évoluer les mentalités et que la plupart des jeunes se rendent compte que nous devons tous faire un effort.»


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Le «Central Park» de Comines



Si l’activité économique présente certains inconvénients, elle procure aussi beaucoup d’avantages à Comines-Warneton.

Dans le cadre du projet européen du canal Seine-Nord, qui doit relier Paris aux ports d’Anvers et de Rotterdam, la Lys a été approfondie et élargie à plusieurs endroits et une nouvelle section du canal a été creusée parallèlement à la Lys près de Comines.

Les 350 000 tonnes de terre extraites lors du chantier ont été réutilisées pour aménager un parc imposant le long de la rivière.

Lors de son inauguration en juin 2022, Leeuwerck l’a appelé – avec un sens certain de la formule publicitaire  – Central Park de Comines.

Par une grise journée en semaine, on n’y croise pas une âme. On sent qu’il vient d’être aménagé et qu’il doit encore prendre vie. Mais on imagine sans peine que, dans un avenir pas si lointain, il sera agréable d’y flâner par une belle journée ensoleillée.


Au printemps 2021, Leeuwerck a signé un accord avec Vanstaen pour la construction d’une passerelle pour piétons et cyclistes devant relier le nouveau parc du côté belge au parc déjà existant du côté français.

«Le budget s’élève à deux millions d’euros. Un coût que notre commune ne pourrait supporter seule. Nous avons aussi conclu cet accord pour montrer que nous sommes tout disposés à travailler ensemble, mais qu’il faut trouver plus de moyens. Nous sommes allés frapper à toutes les portes: l’Europe, la région wallonne et la MEL, mais ces instances ont d’autres chats à fouetter pour l’instant.»

Si la bourgmestre n’est pas encore parvenu à rassembler les fonds nécessaires pour la passerelle, elle reste toutefois confiante quant au rôle que sa commune est appelée à jouer.

«Les grands porte-conteneurs peuvent désormais naviguer depuis Paris jusqu’aux ports de Gand, d’Anvers et de Zeebrugge, puis continuer vers les Pays-Bas. La plateforme portuaire de Comines-Warneton est la seule en Wallonie, entre Paris et les ports de la mer du Nord. Notre commune deviendra vraiment incontournable pour toute la Wallonie.»


 

© Tomas Vanheste, Magazine Septentrion 7, 1er semestre 2023

Tomas Vanheste est rédacteur en chef adjoint - Journaliste indépendant.

Traduit du néerlandais par Pierre Lambert

 

Metadata

Auteurs
Tomas Vanheste
Sujet
Entretien avec Alice Leeuwerck, bourgmestre de Comines Belgique. Les deux Comines, situées sur les rives de la Lys, de part et d’autre de la frontière franco-belge
Genre
Chronique socio-historique et économique.
Langue
Français, traduit du néerlandais
Relation
Magazine Septentrion 7, 1er semestre 2023
Droits
© Tomas Vanheste, Magazine Septentrion 7, 1er semestre 2023