© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

La florissante production de la commune de Theux

Chloé Geron

Texte

L’actuelle commune de Theux, composée de la ville de Theux, des anciennes communes de La Reid et de Polleur ainsi que de villages alentours, se situe en province de Liège, plus précisément dans la région de Verviers. Une enquête linguistique récente (voir Notes ci-dessus, 1) à son sujet a rapidement permis de se rendre compte de l’importance de son activité livresque et littéraire en lien avec le dialecte wallon. Dans cet article, nous allons en dresser un tableau sommaire. Un court rappel de l’Histoire de la commune introduira notre propos. Nous poursuivrons avec quelques éléments folkloriques avant de plonger dans la production, d’en définir la nature diversifiée et l’usage.


Historique (2)


Les traces du site gallo-romain Tectis (soit Theux) se retrouvèrent dans un acte germanique de 814 consignant les biens des monastères de Stavelot et de Malmedy (3). Ensuite, les bans de Theux, Sart, Jalhay, Spa et Verviers firent partie d’une châtellenie appelée (à partir du XVIe siècle) le Marquisat de Franchimont (4). Le ban de Theux obtint son titre de ville en 1456. Enfin, ne renonçant pas à leur indépendance, les habitants de la commune — on raconte qu’ils étaient six cents Franchimontois —, assaillirent la principauté de Liège et furent massacrés par les troupes de Charles le Téméraire, la nuit du 29 au 30 octobre 1468 (5).



Folklore et production


Au sein de la commune, le folklore affirme encore et toujours sa place, même au sein de livres. Par exemple, La pierre aux sept macrâles met en scène cette figure bien connue des sorcières dans les paysages de Jevoumont, Hodbomont et Tancrémont, tandis que l’école communale de Juslenville poursuit la tradition d’offrir chaque mardi de Pentecôte un mannequin de macrâle à brûler sur le bûcher.

Les légendes locales, bien que connues de tous, sont transcrites notamment en version bilingue français-wallon comme en témoignent Lu Bièsse dè Stâneûs, Lu Traque èt l’Coûr dè Coucou (istwêre veûre) de Pol Noël (6) et Lu Vèrbouc du Frantchîmont (istwêre veûre) d’Albert Moxhet et de Pol Noël (7).



Toponymie wallonne


Deux ouvrages font l’étude de la toponymie héritière du wallon de la commune de Theux. Le premier est le mémoire d’un certain Jacques Otten qui avait pour ambition de réaliser un atlas toponymique de l’ancien ban de Theux (8). Le second s’intitule Dictionnaire des rues de Theux, des villages & des lieux-dits habités (9) et son auteur, Alex Gonay, reprend l’étymologie des noms de lieux jusqu’à leurs dernières dénominations.


Journaux


Deux journaux dont l’appellation fait référence à la commune présentent des passages en wallon. Le Pont de Polleur est un journal humoristique qui paraît à Verviers de la fin du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle au moment des élections. Il donne à lire de petites pièces, des chansons et des dessins caricaturaux en wallon, mais ne concerne en fin de compte pas la commune de Theux (10).
En revanche, un second journal du nom Le Pays de Franchimont présente plus d’intérêt. En effet, il est possible de s’attarder plus longuement sur ses rubriques relatives au wallon ou sur la présentation de sa pratique linguistique au fil des années.

Ce bulletin mensuel du syndicat d’initiative Theux-Franchimont existe depuis 1946 et se veut local. Malgré la maigre épaisseur de ses pages à ses débuts, il présente déjà une rubrique « Folklore et légendes », puis « Vieilles chansons theutoises : répertoire wallon de la société “Les Amis de la Folie” » qui dura plusieurs années d’affilée.
D’autres fois, les articles n’ont que le titre en wallon instillant comme un soupçon de nostalgie pour une époque où le français n’était pas la langue courante locale : Du Noss’ Timps (11), Lu rodge gatte (12), Bonnès Dgins (13)avec quelques expressions supplémentaires en wallon dans le texte, Les vis bons djus et les binameyes mareyes (14).

En 1951, le Pays de Franchimont se propose de « réserver chaque mois une ligne de son Bulletin au “wallon” [dans le but qu’elles nous prouvent] la sagesse, l’intelligence, l’esprit d’observation et la verve astucieuse de nos ancêtres  (15)».
Elles sont du type «I n’fât fé nolle astène â cou qu’est sins fondmints (16)» ou encore « - Comme les vîx huflèt, les dônes tchantèt (17)». Cette pratique se poursuit d’abord de manière récurrente, puis de plus en plus épisodiquement jusqu’à l’arrêt complet en 1958.

Les rédacteurs ne peuvent s’empêcher de mentionner les concours de dialecte comme le Prix des critiques wallons (18) ou le Prix Tectis. On donne des pasquilles (19) et des poèmes de Regnier Tieffels (voir ci-dessous Poésie) et Joseph Deborre (20). En 1954 et pour trois numéros, la rubrique « Quelques mots du dialecte theutois » (21) entre dans le bulletin.

Enfin, il faut noter l’apparition d’une rubrique régulière, en wallon qui perdure jusqu’à nos jours et vit défiler de nombreux rédacteurs. La première fois qu’elle apparaît, c’est en juillet 1969 sous le titre de «Propos de Titine (22)».
Elle est remplacée à deux reprises (23) par Fifine pour «Les Propos de Fifine». La rubrique est absente jusqu’au n°5 de 1971 pour un exemplaire, date à laquelle la rubrique porte le nom de «Propos de Fifine» (24).

Elle revient à partir de janvier 1972. À ce moment-là, il ne s’agit pas vraiment de wallon à proprement parler. Il s’agit plus de français teinté de locutions wallonnes et d’élisions. À partir de mars 1972, c’est Lina qui est à la tête de la chronique avec « Les Propos da Lina ».
En 1978, la chronique prend le nom des « Rapwetroules da Lina » et présente la graphie wallonne la plus courante. En 1991, la revue ressent le besoin d’ «aprinde on pô l’walon» (25).
Accompagné d’une liste de vocabulaire par lettre chaque mois, ce réapprentissage perdure jusque décembre 1992.
Enfin, en 2002, Jean-Marie Remacle fait son apparition d’abord dans le courrier des lecteurs avec un poème Po Elie (26) et ensuite dans la rubrique «Folklore : Istwères d’amon nos-ôtes» (27). En 2008, Jean-Marie Remacle écrit les «Po n’nin roûvi nosse walon» (28). À partir de 2011, l’article se pare de quelques mots de vocabulaire et en 2018, le texte est traduit complètement en français, juste après la version en wallon.


Poésie, théâtre et chansons


Plusieurs poètes en herbe locaux ont marqué leur temps. Il y eut J. Wilkin et son recueil Ine voye vès l’loumîre, Jacques Gillis (29) , Gaspard Gelwaide (30) et Jean Maquinay dont la récurrence des rimes (en wallon et en français) se remarque : Lu Novele Poste (31) , Sov’nances (32), Reflèktions so m’vièdje (33).
Au théâtre, Nicolas Depresseux a laissé, en 1895, le drame historique Les six cints Franchimontwès (34) en trois actes et vers wallons qui se présente accompagné de partitions du chant.
Enfin, Guy Cabay (de Polleur) et Hans Marianne (de Oneux) reçurent le Grand Prix de la Chanson wallonne, mais il faut noter également le cramignon To ruv’nant du Tancrémont (35) et la version de Theux du chant populaire des Rhodiens pour le retour de l’hirondelle (36), ainsi que Mes Prumîrès Chansons (37) du juslenvillois Émile Pirard. S’y ajoutent les livrets de Denis J. Kairis de Pepinster pour ses opérettes militaires (38) et wallonnes (39) , ainsi que ses comédies musicales (40) dont les musiques sont généralement celles du Theutois Georges Marchand.


Travaux particuliers


Dans cette dernière catégorie, nous citerons la comparaison des versions du chant populaire des Rhodiens par le professeur de latin-grec et oneuxois Oscar Jacob (41), la compilation des expressions wallonnes locales de Regnier Tieffels (42) et l’étude de Jules Feller sur les pasquilles wallonnes de Theux concernant l’affaire des pasteurs Jean Anseau et Jean de Fraipont (43).


*


Après tous ces exemples, il nous est permis de dire combien les habitants d’une commune aussi modeste que celle de Theux furent prolixes en écrits wallons remarquables.



© Chloé GERON, revue Wallonnes n° 1-2021, Société de langue et littérature wallonnes, SLLW



Notes

1. Le document « Enquête linguistique sur le parler de la commune de Theux » est disponible aux archives du Musée de la vie Wallonne à Liège ainsi qu’au Service de Linguistique française et de dialectologie wallonne de l’Université de Liège au sein duquel le travail a été réalisé lors du cours de Dialectologie wallonne qui est dispensé par Marie-Guy Boutier.

2. Les historiens locaux Patrick Hoffsummer et Paul Bertholet sont à contacter dans le cadre d’un approfondissement du sujet. Voici quelques-uns de leurs titres : HOFSUMMER Patrick, Le château de Franchimont à Theux, Carnet du Patrimoine 133, Institut du Patrimoine wallon, 2016. URL : http://culture.uliege.be/jcms/c_3144572/fr/le-chateau-de-franchimont-a-theux. Paul Bertholet est connu notamment en tant que rédacteur en chef de la revue biannuelle Terre de Franchimont.

3. « Tectis et Wiria capellas simul cum decimis » voir MATHIEUX A. J., Notices historiques sur Verviers et environs, Verviers, Imprimerie F. Mathy, 1928.

4. Il est à noter qu’un groupe d’historiens amateurs theutois a pris le nom de « Chroniqueurs du Marquisat » et s’emploie à conserver matériellement (archives propres) et en mémoire les sources historiques et les événements marquants de la commune. Ils constituent une section de la Chevalerie de l’ordre du Chuffin qui possède son site internet : http://www.chuffin.be/index.html

5. Pour aller plus loin dans l’histoire, voir notamment ROTTIERS Sophie, « Six cents patriotes en quête d'auteurs. Historicité et littérarité des Six Cents Franchimontois: étude d'un cas de figure, La cité ardente de Henri Carton de Wiart », in Revue belge de philologie et d’histoire, t. 3 fascicule 2, 1995. Histoire médiévale, moderne et contemporaine - Middeleeuwse, moderne en hedendaagse geschiedenis, pp. 343-377. URL : https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1995_num_73_2_4016


6. NOËL Pol, Lu Bièsse dè Stâneûs, Lu Traque èt l’Coûr dè Coucou (istwêre veûre), Verviers, Librairie l’Ile Ouverte, 1989.

7. MOXHET Albert et NOËL Pol, Le Verbouc de Franchimont (histoire véritable) - Lu Vèrbouc du Frantchîmont (istwêre veûre), Verviers, Librairie l’Ile Ouverte, 1989.

8. OTTEN Jacques, Atlas toponymique de l’ancien ban de Theux, Mémoire universitaire, Liège, 1967

9. GONAY Alex, Dictionnaire des rues de Theux, des villages & des lieux-dits habités, Theux, édition Chevalerie de l’Ordre du Chuffin asbl, 2013.

10. L’appellation sera reprise pour l’édition spéciale de la Fête de la Cour du Coucou durant septante-quatre ans, mais cette dernière ne conserve plus vraiment de wallon dans sa rédaction.


11. TIEFFELS Regnier, Du Noss’ Timps, in Pays de Franchimont, n°1, 1948.

12. Lu rodge gatte, in Pays de Franchimont, n°2, 1949

13. Bonnès Dgins, in Pays de Franchimont, n°5, 1954.

14. Les vis bons djus et les binameyes mareyes, in Pays de Franchimont, n°557, 1992.

15. L. D. H., in Pays de Franchimont, n°10, 1951.


16. Pays de Franchimont, n°11, 1951.

17. Pays de Franchimont, n°4, 1953.

18. « Prix des Critiques wallons », in Pays de Franchimont, n°6, 1953.

19. Extrait de pasquilles en wallon, in Pays de Franchimont, n°8, p. 2, 1953 et A noss facteur, in Pays de Franchimont, n°4, 1948.

20. DEBORRE J., in Pays de Franchimont, nos 583-486, 1986.


21. « Quelques mots du dialecte theutois », in Pays de Franchimont, nos 1, 3 et 4, 1954.

22. « Propos de Titine », in Pays de Franchimont, n°7, 1969.

23. « Les Propos de Fifine », in Pays de Franchimont, n°9, 1969 et n°2, 1970.

24. « Les Propos de Fifine », in Pays de Franchimont, n°5, 1971.

25. « Les rapwetroules da Lina », in Pays de Franchimont, n°543, 1991.


26. REMACLE Jean-Marie, « Courrier des lecteurs : Po Elie », in Pays de Franchimont, n°664, 2002.

27. REMACLE Jean-Marie, « Folklore : Istwères d’amon nos-ôtes », in Pays de Franchimont, n°667, 2002.

28. REMACLE Jean-Marie, « Po n’nin roûvi nosse walon », in Pays de Franchimont, n°734, 2008.

29. GILLIS Jacques, Oneux, in Pays de Franchimont, n°529, 1990.

30. GELWAIDE Gaspard, Po lès viles djins, in Pays de Franchimont, n°410, 1980.


31. Pays de Franchimont, n°6, 1976.

32. Pays de Franchimont, n°392, 1979.

33. Pays de Franchimont, n°9, 1975.

34. DEPRESSEUX Nicolas, Les six cints Franchimontwès. Drame historique, treus akes en vers wallon, Imprimerie Arm. Arnotte-Buchet, Verviers, 1895.

35. Conservé par la Société liégeoise de littérature wallonne à la référence 22 : Concours du dix septembre n°3. Archives n°1469.


36. « Telle est la chanson du pays de Theux ; à Malmédy, elle s’est transmise à peu près sous la même forme. » dans JACOB Oscar, « Le chant populaire des Rhodiens. Le retour de l’hirondelle », in Les études classiques, t. IV fascicule 2, Namur, 1937, p. 12.

37. PIRARD Émile, Mes Prumîrès Chansons, Imrpimerie-Lithographie Arthur Lambotte, Liège, 1909.

38. KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Poupousse. Opérette militaire ès treus ake ; KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), A vos rangs…fixe. Opérette militaire è 3 akes et KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Loulou. Opérette militaire ès 3 akes.

39. BASTIN Nicolas (paroles), KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Al bèl’ Vue…Opérete walonne è treus akes ; KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Â tchant dè Coucou. Opèrete walone è treus z’akes (voir en annexe 20); KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Fleurs di Waloneye. Opèrette walonne è treus akes ; KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Miz’wette. Opèrette walonne ès 3 akes ; KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Moncheu Delgate. Opèrète walonne ès 3 akes ; KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Li Mononche d’Afrique. Operete es 3 akes ; KAIRIS Denis J. (livret) et MARCHAND Georges (musique), Narcisse. Opèrètte wallonne ès treus z’akes ; KAIRIS Denis J. (livret), Po l’bonheûr da Janètte. Treus akes da Tot po les z’oûves ; KAIRIS Denis J. et WILKIN Gaston (livret) et RENIER Léon (musique), L’Hindou da Liètte. Opèrette es treus ak.

40. KAIRIS Denis J. et HEROUFOSSE J., Brihe di djonesse. Comèdeye musicale ès treus z’akes ; KAIRIS Denis J. et MARCHAND Georges, Po li p’tite. Comèdeye musicale ès 3 akes ; KAIRIS Denis J. et MARCHAND Georges, L’amour di s’vèye. Comèdeye musicale ès treus akes ; et KAIRIS Denis J., A l’ treûte d’Ardjint. Comèdeye è treus akes.


41. JACOB Oscar, « Le chant populaire des Rhodiens. Le retour de l’hirondelle », in Les études classiques, t. IV fascicule 2, Namur, 1937.

42. Sur l’ancien site du syndicat d’initiative de Theux, URL : https://www.sitheux.be/spip.php?page=article&id_article=89.

43. FELLER Jules, Pasquilles wallonnes de Theux concernant l’affaire des pasteurs Jean Anseau et Jean de Fraipont (1675-1688), Verviers, Imprimeur-éditeur P. Féguenne, 1930.




Metadata

Auteurs
Chloé Geron
Sujet
Ville de Theux, région de Verviers. Activité livresque et littéraire en lien avec le wallon. Enquête linguistique. province de Liège.
Genre
Essai d'histoire littéraire
Langue
Français
Relation
Revue Wallonnes n° 1-2021 (société de langue et littérature wallonnes, SLLW)
Droits
© Chloé Geron, revue Wallonnes n° 1-2021 ((société de langue et littérature wallonnes, SLLW)