© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Jacques Sojcher l’éveilleur

Véronique Bergen

Texte

Comment parler de Jacques Sojcher alors qu’en 1981 il publie Le Rêve de ne pas parler? Comment évoquer son œuvre de poète, de philosophe-artiste sans trahir son appétence pour les régions du mutisme, pour les zones où le dire veille sur ce qui se dérobe au nommable? Une œuvre se place sous une constellation de signes qui la catalysent, qui lui procurent son feu central ou orientent son mouvement de création.

 

*

 

C’est sous un ciel de Stimmungen, de concepts-affects que se tiennent les recueils poétiques, les essais philosophiques, sur la peinture, les pièces de théâtre de Jacques Sojcher, son roman Jacki est sage. Au nombre de ces concepts-affects, de ces notions intensives, je mentionnerai le non-savoir, les origines barrées, l’enfance éternelle, la passion puérile, les femmes, la joie, le nom «juif».

La pensée de ce professeur émérite de philosophie et d’esthétique à l’Université Libre de Bruxelles est incontestablement celle d’un philosophe-artiste au sens de Nietzsche et de Jean-Noël Vuarnet, d’un arpenteur des terres du non-savoir, qui, en un mouvement de sécession par rapport à la Loi discursive, aléthique, à la rationalité et au normatif, explore des questions vitalistes, un gai savoir césuré de la métaphysique.

Prodigieux pédagogue, forgeant une pensée créatrice irriguée par Nietzsche, Levinas, Spinoza, Deleuze, Derrida, Kierkegaard, mais aussi Edmond Jabès, Maurice Blanchot, Pessoa, Rimbaud, les arts plastiques, le cinéma, le philosophe-poète revendique une poétique du bégaiement, de ce que Pascal Quignard nomme balbutiement. À savoir, une poétique taillée dans la méfiance à l’égard du monde des adultes, à l’égard d’un langage pris dans le corset d’un usage social et formaté.

L’initiation philosophique, poétique et existentielle qu’il nous offre relève d’une maïeutique aporétique, d’un manifeste en faveur du non-savoir. À l’écart du complexe formé par l’alliance du savoir et du pouvoir, sans plus la foi dans des ambitions épistémologiques écrasant ce qui ne relève pas de leur régime, l’accueil du non-su consone avec une primauté de l’éthique sur le cognitif et sur l’ontologique. La volonté de vérité n’est que le masque d’une volonté de sécurité qui nous empêche de creuser un autre rapport au monde, libre et innocent.
C’est à cette ouverture à la fête des sens, à l’amor fati que l’œuvre de Jacques Sojcher nous invite.
«La mise en question radicale met en question le concept même de vérité et, partant, celui de stabilité (de sujet, de chose, de fait) (…) Mais, demandons-le nous encore une fois, pourquoi l’éclatement de la vérité? Parce qu’aucune évidence ne peut la faire reconnaître, parce que l’évidence n’est qu’une foi en la vérité qui a échappé au doute pas assez radical, au doute trop léger de Descartes.» [v. note bas de page]   1

Celui qui se définit comme «professeur d’incertitude» éprouve dans le champ de la philosophie le principe d’incertitude formulé par Werner Heisenberg en physique. Non pas une déroute ou une faillite du concept mais une attention à la charge extra-conceptuelle, extra-rationnelle qu’il porte en lui et qui lui procure sa nécessité. Le motif musical et philosophique du «sans pourquoi» pulse le chemin du non-savoir. Entrer dans le non-savoir, quitter le désir d’un savoir qui soit celui du maître et de la Vérité, c’est prendre acte d’une expérience intime, percevoir que le temps des «pourquoi?» est révolu.

 

*

 Fils de l’exil


Édités chez Fata Morgana, ses recueils poétiques — La Confusion des visages, Le Sexe du mort, L’Idée du manque, C’est le sujet, Trente-huit variations sur le mot juif, Éros errant, Joie sans raison —, souvent accompagnés par les dessins de créateurs amis (Arié Mandelbaum, Richard Kenigsman, Sarah Kalisky) remontent le fil du temps, le fil des mots, dans une expérience poétique acquise à tout ce qui désentrave ce «rêveur d’actes».

Portés par la nudité du verbe et l’économie langagière, les phrases dansent entre apparition et submersion, entre affirmation ontologique et glissement dans le retrait. Dans le sillage de Maurice Blanchot, tout livre est un livre à venir, frangé d’innommable, butant sur un impossible structurel qui délivre un devoir éthique: ne pas forcer l’imprononçable, être le gardien de l’innommable condensé (mais pas exclusivement) dans le nom «juif». L’écriture s’emploie à «exorciser la chose innommable»  2   tapie derrière le mot «mort».

Dans une translation du visible au lisible, le Visage de Levinas, cette transcendance dans l’immanence sur laquelle j’ai à veiller, se matérialise dans des mots-caresses écrits depuis l’en deçà de la maîtrise et à partir d’un sujet réinventé.

Caresse l’enfant qui dort
dans la mémoire
de l’homme.                                    3

Si l’enfance est une terre d’accueil soustraite au monde des adultes, si elle dessine l’horizon de l’in-fans, de celui qui ne parle pas, qui se tient en deçà du langage, du symbolique, elle est aussi un état d’être au monde, un lieu de vie qui «empêche l’homme adulte d’exister». Cette entrave est vécue comme une chance, comme une affirmation en acte du devenir enfant chez Nietzsche.

Le fils d’Aron (né en Slovaquie) et d’Idesa (née en Pologne) porte en lui une enfance éternelle, qui perdure et qui, en sa survivance, protège contre le devenir adulte. Motif central de l’œuvre sojchérienne, la puérilité délivre un état, un espace-temps passé, présent et à venir qui garantit la non-absorption dans la sphère sociale, économique du monde des adultes.

Le petit garçon
qui est en lui
empêche l’homme adulte
d’exister

Ce qui sépare de l’enfance
est la trahison                                 4

Si le chant de l’innocence, du devenir est l’horizon sous lequel l’œuvre se tient, l’ombre de Kafka plane cependant, sur des textes poétiques hantés par le sentiment de culpabilité, d’imposture, dévoilant les minutes d’un procès intenté contre soi. L’imposture est celle de l’enfant survivant, à qui la vie a été échue alors que le père est mort, déporté à Auschwitz. Qui dit imposture dit usurpation, vol d’une place qui n’est pas la sienne.

«Et si j’étais un usurpateur
Celui qui a pris sa place?»               5

«C’est pour dénoncer l’imposture
d’avoir pris la place du mort».         6

«Tu te sépares de toi
pour te punir d’être là.»                    7

Le poids d’un sentiment d’imposture prend aussi le visage d’une confusion des visages, d’une indistinction des sujets, du père et du fils. La parabole «Devant la loi» de Kafka se retrouve relue par un Don Juan défiant le Commandeur et se voit traduite dans le paradoxe d’une absence de sentence qui s’affirme comme la seule sentence. «Je te condamne / à la légèreté capitale, / à l’absence de sentence» (La Confusion des visages, p. 68).
La poésie accomplit un retour vers les origines barrées, vers la préhistoire brouillée d’un être qui, se livrant au français, se sait porteur du yiddish de la mère, un yiddish en contrebande qui «dort sous les mots».
Ce que le mort a laissé en héritage, c’est un viatique, un douloureux passeport pour l’existence, mais aussi un térébrant sentiment de culpabilité. J. S., athée joyeux, athée mystique, n’est pas le fils que le père, pieux, aurait souhaité avoir   8.
Dans le cabas laissé par le disparu, bourdonne la mort en héritage.

Le rasoir et le blaireau.
La trousse de toilette.
Une montre avec sa chaîne
En or.
Quelques livres de prière.
L’héritage du mort                          9

Le désir de «régresser dans le sommeil» (Trente-huit variations sur le mot juif, p. 44) traduit l’effort pour retrouver l’aube de l’engendrement, le père sous le sans-père, l’alliance vitale sans l’anti-commandement «Tu Tueras ton prochain» édicté par le IIIe Reich. Quand la formule «il [le mot juif] demande une sépulture»   10   troue la page, on pressent que le tombeau ensevelissant le vocable, l’empêchant d’être un cadavre nominal à l’air libre, a pour mission d’offrir un mausolée au père.
Quatuor de deux consonnes et de deux voyelles, «Juif» est le mot de passe. C’est aussi un schibboleth que le nazisme a retourné en organe de persécution.

Juif est le mot de passe.
Tu enlèves la mezouza.
Tu ne portes pas la kippa                  11

Le fils de l’exil   12    invente une manière de traverser l’existence qui repose sur l’élection du verbe, de la pensée et la passion des femmes, de l’amour. Dans une filiation avec le père fourreur, les mots du fils sont des fourrures qui rapiècent le trou noir des origines. Une des vertus de la foi dans l’amor fati, c’est d’acquiescer, de dire oui à ce qui arrive «pour effacer le passé», de lancer un «oui» proche de celui de Molly Bloom à la fin d’Ulysse en amputant l’héritage nietzschéen de la doctrine de l’éternel retour (du même ou du différent).

Avance sans retour.
Dis oui
à ce qui arrive
pour effacer
le passé                                            13

 

*

Apatridité

 

La condition de l’être J. S. et de sa pensée est celle de l’apatride, de l’»égo zéro». C’est avec Nietzsche que le petit Jacki partage une apatridité de principe et non pas seulement conjoncturelle. «Le passage de la question à la création (qui est l’exaltation de l’énigme, non son achèvement) suppose un fond commun de non-savoir (d’obscurité), suppose la communauté du dehors. Nietzsche donne souvent à ce dehors le nom d’apatridité et au penseur-créateur celui de sans-patrie.»     14

La construction légère et grave d’une patrie de substitution emprunte la voie de l’écriture et de la passion des femmes, deux tropismes logés sous l’enseigne de l’infini.

Dans Jacki est sage, un roman autobiographique qui fait retour sur des scansions de l’existence, la mission de l’écriture est affirmée sans détour dans le finale du livre: la promesse que recèle l’écriture est de «faire revivre les morts». Appliqué à la pensée, à la littérature, à la vie, à la joie, le mantra du «sans pourquoi?» se connecte à une visée presque messianique: la résurrection des morts, un pluriel qui dissimule la renaissance d’un mort, du père disparu.

On ne sait si la promesse chevillée au verbe est honorée, tenue, ne fût-ce que partiellement. La rédemption est indécidable.

 

Regard rétrospectif sur les décennies écoulées, Jacki est sage se clôt sur une sagesse que seule l’entrée dans la vieillesse (couplée à une jeunesse indéboulonnable) pouvait délivrer. La maladie de l’origine se résout en grande santé dès lors que l’écriture de ce récit accomplit précisément un retour à l’origine, au ventre maternel via l’écriture.

Divisé en cinq chapitres, le premier et le dernier dénommés «0», le récit se conclut sur une libération hors de la sphère du jugement, sur la conquête d’une réconciliation, d’une légèreté en laquelle se résout la souffrance des origines. Tout se lève sur une terre promise qui adopte la forme d’un cercle.

Me voici, mère, je suis revenu dans ton ventre.
Me voilà, père, je suis le jaillissement de ta semence.
Le cercle est accompli.
Le temps n’existe plus. Il n’y a plus personne.
Écrire pour corriger la biographie.
Écrire pour faire revivre les morts.
Écrire sans pourquoi                                                                  15
 

J. S., c’est aussi la passion des masques, du voilement/dévoilement, la rencontre des libertins et des moralistes, de Casanova et de Pascal, le souffle de l’athéisme, le cri d’un athée qui, dans sa pièce de théâtre Tsimtsoum, imagine un homme en colère qui intente le procès de Dieu. Dieu a beau être mort, par la vie de sa mort, il encombre encore les esprits, leste encore les corps. Que faire, après Nietzsche, de cette présence d’un «Dieu voleur»    16,  sachant qu’il est un voleur de prépuce qui, au travers de cette ablation, établit une Alliance avec le sexe du circoncis? Par quel art de la joie retrouver l’innocence adamique et «èvique» dans un jardin «sans Yahvé»?

La relation de l’athée à la Transcendance prend parfois des allures plus clémentes, dans un pari pour une nouvelle donne. «Tu lis Spinoza pour accorder à Dieu une seconde chance» (Trente-huit variations sur le mot juif, p. 21).

 

Tout est battement entre dire et se taire, entre le phraser et «l’étoile jaune du silence»    17,  entre mémoire et oubli, entre diaspora d’un peuple et celle du sujet, entre ironie mélancolique, auto-dérision et cantique de l’allégresse.    18

Entre le monde réel et celui des idées et des mots, la relation prend tantôt la forme d’une distance, d’un hiatus, tantôt celle d’une concorde, d’une séduction réciproque. L’essence paradoxale du verbe vient de ce qu’il est tout à la fois passerelle — à tout le moins promesse de passerelle — vers l’être et entrave à l’accès à un réel non-médié.

Dans certains fragments de La Confusion des visages, l’abîme entre la rive du réel et celle des mots, de la pensée prévaut. «Le réel n’est pas dans ta chambre, / tapissée de mots et d’idées» (p. 35). Dans le même recueil ou dans d’autres textes poétiques, la valence ambiguë du langage se lève au profit de la reconnaissance de sa dimension de sacre ontologique. «Le nom est l’être des choses» (La confusion des visages, p. 71) dès lors qu’il suture l’être à son principe.

 

L’amoureux des femmes, le «petit Casanova», le disciple de Don Juan confie avoir le «narcissisme du zizi» (Jacki est sage, p. 141), échafauder des hypothèses sur le possible don juanisme hérité du père. Dans Le Sexe du mort, parlant de l’in-su qui recouvre le père, il écrit «Peut-être était-il un Don Juan?» (p. 46). Dans l’univers sojchérien, le physique est métaphysique, le corporel s’avance comme l’ombilic d’une pensée vivante. Au creux de l’étreinte des amants, dans la moiteur des chairs, l’absence aiguise l’appétit pour une joie en immanence, catalyse la quête d’un cordon ombilical amoureux. Jusqu’à la confusion des visages de l’aimée et de l’aimé, jusqu’à l’atteinte d’une androgynie primordiale.

Avec, au fond des poches trouées, la révélation de la nature de l’érotisme, à la fois plénitude et manque dès lors que le dieu Éros est présenté, dans Le Banquet de Platon, comme le fils de Poros et de Pénia, de la satiété (Poros) et de la pauvreté (Pénia).

 

*

Les cendres du père

 

Les incursions de Jacques Sojcher dans le domaine des arts plastiques élisent Paul Delvaux (Paul Delvaux ou la passion puérile, Le Cercle d’art, 1991), le sculpteur Georges Jeanclos (Jeanclos. Prier la terre, Le Cercle d’art, 2000). L’œuvre de Paul Delvaux s’enroule autour d’un imaginaire surréel bruissant de femmes nues et de gares, celle de Jeanclos travaille la terre à laquelle ce survivant de la Shoah adresse une prière, sculptant des créatures qui tiennent du golem et d’une matérialisation de kaddish.

Questionnant la genèse du regard, les noces du visible et de l’invisible, leurs points de fuite, Jacques Sojcher enracine l’engendrement du voir dans les tropismes de l’onirisme et la prégnance des sensations de l’enfance. Comment le désir en tant que conatus, en ses multiples expressions, monte-t-il au visible dont il sonde l’envers du décor, les coulisses de l’inconscient? Comment cette flamme désirante, point d’ombilic de tout geste créateur, alimente-t-elle la quête littéraire, poétique?

La pensée poétique de l’auteur sonde les manières dont l’écriture se prête au jeu de transmutation de l’expérience nue, vécue, muette, en logos. Que perd-on dans le gain, que gagne-t-on dans la perte générée par la traduction des nappes de sensorialité en une architecture discursive? Si le silence semble lové comme un fœtus dans le ventre des mots du poète, n’est-ce pas dans l’espoir de contrarier la loi de la perte de l’antéprédicatif, induite par le passage au prédicatif? Dans le vœu de ne pas bâillonner l’enfance, l’in-fans, celui qui ne parle pas, le prince de l’antéprédicatif?

Avec Pascal Quignard, avec Jean-François Lyotard, Hofmannsthal et d’autres, Jacques Sojcher interroge la scène anthropologique de l’entrée dans le langage. Quel deuil de la forge inarticulée des pulsions, de l’intensité de la matière sensible s’opère-t-il sans qu’on en ait toujours conscience quand on les phrase, quand on les discipline dans le royaume de la lettre? Que reste-t-il du bloc nocturne du passé, de la musique du jadis, de la scène primitive, de la nuit sexuelle dirait Pascal Quignard quand on emprunte le défilé des vocables, quand on saute dans l’arche linguistique? Dans quelles zones de la création affleurent des embruns fictionnels de l’événement de l’engendrement tombé dans l’oubli?


Jacques Sojcher écrit à l’endroit où, agité de tremblements, le sens défaille, à l’endroit où les mots hésitent sur le bout de la langue. Élisant un principe de sobriété verbale, il laisse le doute infuser dans l’identité personnelle et dans le temple du langage. On y verra une appétence poétique pour le jeûne, pour le fragment, pour l’horizon du mutisme, envers d’une attirance pour les corps féminins, pour la chair des amantes éprouvée comme un talisman d’anti-mort.

In fine, la question qui se lève s’ébauche ainsi: comment est-il possible d’écrire quand on est un survivant cloué à la croix de l’Histoire, à la croix du 20e siècle, ce siècle coupé en deux par la césure (peu hölderlinienne) de la Shoah? Comment écrire sur les cendres du père mort, sans le meurtrir, sans trahir son absence? C’est depuis la ligne du silence qui s’est refermée sur le père déporté que Jacques Sojcher écrit. C’est depuis le gouffre de l’anéantissement qu’il déploie une pensée-vie, un vitalisme acquis à l’éthique spinoziste de la joie.

Dans la barque de Jacques qui, ne l’oublions pas, est aussi acteur (dans des films d’André Delvaux, de son fils Frédéric Sojcher, de Claudio Pazienza) et directeur de revues, un éternel enfant fait des claquettes avec des mots que les femmes portent à leurs bouche avec gourmandise.
Comme dans l’univers de Stéphane Mandelbaum, le sexe et l’érotisme se dressent contre la Shoah, affirment leur résistance à toute entreprise de destruction. Dans Joie sans raison, il le formule sans ambages: «Ton sexe se dresse contre la Shoah»    19

Tu es le fils du mort
qui t’a donné la vie
comme un message d’espoir
insensé.
Tu dis oui à l’oubli
pour aimer encore.                                                                      20

La poésie sojchérienne se tient du côté du non-savoir, de l’allègement. Déportant «l’inconvénient d’être né» de Cioran, le non-savoir englobe la tache aveugle de la naissance, de l’engendrement: «Tu ne sais toujours pas / ce que c’est que donner naissance / ni être né» (La confusion des visages, p. 68).

La profession de foi qu’il endosse est celle de l’innocence de l’enfant nietzschéen, de Zarathoustra, des créatures qui savent combien le péché, le ressentiment furent l’invention de prêtres visant à domestiquer l’humain et à l’assujettir à une Loi mortifère.

 

Le philosophe-pédagogue, l’auteur de La Démarche poétique, d’Un roman, du professeur de philosophie, de La Mise en quarantaine, du Rêve de n’être pas mort, de Petite musique de chambre, de la pièce de théâtre Un philosophe amoureux, de Petits savoirs inutiles est aussi un tisserand d’amitiés. Une amitié nouée avec Pierre Mertens, Monique Dorsel, Jean-Pierre Verheggen, Raoul Vaneigem, Maurice Nadeau, Maurice Olender, René et Sarah Kalisky, Marcel Moreau, Claire Lejeune, Bruno Roy, Arié Mandelbaum, Foulek Ringelheim, Jérôme Peignot, Bernard Noël, Serge Fauchereau et d’autres…

J’ai rencontré Tintin, Nietzsche, Rimbaud, des inconnus merveilleux. Ils ont fait de moi un nomade.
J’ai chassé Dieu du jardin d’Éden.
Mona me dit que je suis un affabulateur, un séducteur, un usurpateur. Elle a peut-être raison.
J’ai un brevet d’innocence dans ma poche, un permis d’oublier le jugement.    21

 

Ce qui donne pulsation à l’œuvre de Jacques Sojcher, c’est aussi l’attente du retour du père mort, l’antienne «J’attendrai toujours», cet air que sa mère n’a cessé de chanter à Jacki l’enfant caché, «J’attendrai / Le jour et la nuit / J’attendrai toujours / Ton retour…».

 

 
© Véronique Bergen, revue Le Carnet et les instants 219, avril 2024, Bruxelles

Notes

1. Nietzsche. La question et le sens. Esthétique de Nietzsche, Paris, Aubier Montaigne, 1972, p. 18-19.
2. La Confusion des visages, Montpellier, Fata Morgana, 2019, p. 59.
3. Ibid., p. 21.

4. Ibid., p. 23.
5. Trente-huit variations sur le mot juif, Montpellier, Fata Morgana, 2014, p. 32.
6. La confusion des visages, op. cit., p. 27.

7. Trente-huit variations sur le mot juif, op. cit., p. 16.
8. «Il ne t’a pas appris / l’aleph beth. / Il ne t’a pas transmis / La foi des hassidim. / Tu n’es pas le juif / qu’il eût aimé/ que tu sois» (Trente-huit variations sur le mot juif, op. cit., p. 17).
9. Ibid., p. 7.

10. Ibid., p. 12.
11. Ibid., p. 9.
12. «Tu es le fils de leur exil», L’idée du manque, Montpellier, Fata Morgana, 2023, p. 28.

13. C’est le sujet, Montpellier, Fata Morgana, 2014, p. 49.
14. Nietzsche. La question et le sens. Esthétique de Nietzsche, op. cit., p. 23.
15. Jacki est sage, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2023, p. 149.

16. Trente-huit variations sur le mot juif, op. cit., p. 20.
17. C’est le sujet, op. cit., p. 16.
18. Consulter l’essai de François Moulin, Jacques Sojcher. Ni la mémoire ni l’oubli, Bruxelles, Labor, coll. «Archives du futur», 1990.

19. Joie sans raison, Montpelier, Fata Morgana, 2019, p. 39.
20. Ibid.
21 . Jacki est sage, op. cit., 146.



Metadata

Auteurs
Véronique Bergen
Sujet
Oeuvres Jacques Sojcher philosophe, essayiste, écrivain
Genre
essai esthétique littéraire et philosophique
Langue
Français
Relation
revue Le Carnet et les instants 219, avril 2024, Bruxelles
Droits
© Véronique Bergen, revue Le Carnet et les instants 219, avril 2024, Bruxelles