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Qu’est-ce qu’un magneû d’ blanc ? Qu’est-ce qu’un « mangeur de blanc » ?

Guy Belleflamme

Texte

Lors du décès de Michel Galabru, en ce 4 janvier 2016, la télévision a rediffusé la version théâtrale de La femme du boulanger de Marcel Pagnol, dans laquelle l’acteur tient le rôle du protagoniste, Aimable Castanier. Aimable est un prénom tragiquement prédestiné pour celui qui devra camper un personnage de cocu, sinon content, du moins résigné... et pathétique.

Et ceci n’a rien à voir avec le Bruno psychopathe, – d’une jalousie maladive, qui n’a de cesse de pousser sa femme à l’infidélité pour justifier ses propres soupçons – Le Cocu magnifique de Fernand Crommelynck, ni avec le Sganarelle, cocu imaginaire de Molière. Ces deux derniers sont des personnages de comédie, de farce, des personnages caricaturaux qui prêtent plutôt à rire (ou à faire grincer des dents). Aimable Castanier, lui, est pitoyable, parce qu’il est humain, profondément humain.

M’est revenue en mémoire, à cette occasion, une expression qu’on utilisait dans ma jeunesse (et qu’on utilise peut-être encore), au pays de Herve, pour désigner ce type de personnage qu’on rencontre quelquefois dans notre entourage : un mari complaisant, un cocu qui s’ignore ou qui feint de s’ignorer, est qualifié de magneû d’ blanc, de « mangeur de blanc ».

Et l’expression n’était utilisée que dans cette acception-là. Ayant consulté mes dictionnaires de référence – le Petit et le Grand Larousse, le Petit et le Grand Robert, le Littré... – sans rien y trouver, j’en avais conclu un peu vite que cette expression était dialectale. Et j’avais même imaginé que ce blanc-là dont il est question dans l’expression n’était autre que le blanc d’œuf, de l’œuf qu’on fait gober cru, entier, et d’une traite, comme on peut faire prendre à tout gobeur naïf des vessies pour des lanternes XX.


Les dictionnaires dialectaux

Les lexicographes en langue régionale qui répertorient cette expression sont souvent peu explicites. Je n’ai trouvé le « mangeur de blanc » qu’en ces endroits :

– Jean WISIMUS, dans son Dictionnaire populaire wallon-français en dialecte verviétois (1947), se contente de citer l’expression magneû d’ blanc, sub v° blanc, p. 50a, sans la traduire.

– Anne-Marie FOSSOUL-RISSELIN, Le vocabulaire de la vie familiale à Saint-Vaast (1890-1914), Mémoire de la CTD (Commission de Toponymie et de Dialectologie), n° 12, p. 115 : « Un homme se fait-il entretenir par une femme ? On dira de lui : C’è-st-in manjeùr [sic pour l’accent] dè blanc (influence française). » [JL, lire Jean Lechanteur]

– Léon MAES (1898-1956), dont Le Patois mouscronnois a été édité en 1979, écrit : « Minjeû d’ blanc, entremetteur. » (p. 33). [JL]

– Joseph COPPENS, dans son Dictionnaire aclot wallon-français, du parler populaire de Nivelles (1950), sub v° mindjeû, cite « In mindjeû d’ blanc (souteneur). » (p. 259a). Et dans son Dictionnaire aclot français-wallon (1962), sub v° souteneur, il traduit « mindjeû d’ blanc », expression qu’il illustre de l’exemple suivant : « in mindjeû d’ blanc qui vike su l’ dos dès couméres ».

– Michel FRANCARD, dans son Dictionnaire des parlers wallons du pays de Bastogne (1994), sub v° blanc, écrit : « C’è-st-ou mindjeû d’ blanc, litt. ‘c’est un mangeur de blanc’, c’est un proxénète. » (p. 173a).

– P. MAHIEU, dans son Lexique picard, « meots a moute el’ bahut a meots, choix de textes », (1994) écrit : « minjeu d’ blanc : litt. mangeur de blanc, homme entretenu par une femme. » (p.158b)

– Dans le BTD (Bulletin de toponymie et de dialectologie) XXVIII (1953), Élisée Legros fait un compte rendu très sévère – et sans appel – du Lexique liégeois (Dinant, Bourdeaux-Capelle, 1952) de Dominique Beaufort, dont voici un extrait : « Les temps ont bien changé depuis que Haust devait se défendre pour avoir admis trop de mots français ! De-ci de-là seulement, un mot à relever, du langage plus ou moins vulgaire d’aujourd’hui souvent : caca « jeune fat », mèyus´ « ivrogne », çoula n’ vout nin dîre tchèrète (que l’auteur n’est pas le premier à enregistrer)...


Notons encore magneû d’ blanc [= franç. popul. bouffeur de blanc] « souteneur », omis volontairement par Haust, et aler so l’ bate à gauche « aller chez les femmes [sic] y demeurant [y, c’est so l’ bate, traduit « quai de Maestricht (à Liège) » : n’est-ce pas plutôt d’abord « quai de la Batte » ?... XX] (p. 160). Dans son Dictionnaire populaire liégeois (2004), Simon Stasse recopie la même définition, sub v° blanc « magneû d’ blanc, souteneur » (p. 53) et sub v° magneû « Magneû d’ blanc, marlou, souteneur ; syn. mêsse dogueû. → makeû, maquero. » (p. 250a)


De Mouscron à Verviers, de Nivelles à Bastogne... toute la partie francophone de notre pays connaît l’expression. On est passé de « mari complaisant » à « souteneur » ou à « proxénète ». Ou l’inverse. Rien ne permet vraiment d’assurer le sens dans lequel s’est faite cette évolution sémantique.

Dans ce cas, le blanc d’œuf pourrait devenir un beau morceau, du blanc de poulet, par exemple.


Dictionnaire de belgicismes
De tous les dictionnaires de belgicismes, seul le dictionnaire des Belgicismes (Duculot, 1994), de W. Bal et alii, sub v° mangeur, cite « Un mangeur de blanc. Un souteneur. » (p. 87).

Toutefois, le FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch), 6/1, 174b, désormais consultable sur Internet, écrit ceci sub v° manducare : « nfr. mangeur de blanc ‘homme qui se laisse entretenir par des femmes’ BL 1808, argot ‘souteneur’ (Michel 1856-SandryC 1953), ‘argot belge’ Lc, ‘bluffeur’ Lc. XX » Notons l’expression « argot belge ».


Quelques enquêtes orales

Il y a quelques années, faisant une petite enquête orale auprès de quelques amis et connaissances, j’ai reçu les modestes informations que voici :

– Un ami borain m’écrivait ceci : « Je ne peux pas répondre pour toute la Picardie, mais le borain connaît minjeû d’ blanc dans le sens général de ‘profiteur’, celui qui vit aux dépens d’autrui, des femmes, de sa femme, sans qu’il y ait forcément connotation sexuelle ».

– Dans le Condroz-Famenne, sans faire référence à un ‘pauvre type’ dont la femme (épouse, concubine) userait vénalement de « son cul » (comme m’a dit rabelaisiennement un Wallon du coin), on emploie aussi cette expression pour désigner tout profiteur.

– Un témoin de Chênée (périphérie liégeoise) donne de magneû d’ blanc, dans un premier temps, la traduction « souteneur, maquereau », puis, dans un second temps, il traduit « un homme qui vit aux crochets de sa femme ».

– Un ami verviétois, médecin, m’a fait le récit suivant : « Pendant ma 2e candidature, j’ai travaillé occasionnellement comme garçon de café en Outre-Meuse, l’établissement étant assez proche de la Batte et de son quartier chaud, maintenant un désert après le départ des prostituées. On était peu après mai 68. Un soir, le patron de l’époque, X***, m’a fait venir dans la cuisine pour bien me préciser, une fois pour toutes, que dans son établissement, il n’était pas question d’accepter des « mangeurs de blanc ». J’étais censé comprendre ; je n’ai pas osé lui demander d’explication et avouer à la fois ma naïveté et mes ignorances lexicales. Un autre garçon, comme moi, étudiant et travaillant en extra, m’a dit qu’il s’agissait des souteneurs, des proxénètes. Je n’ai jamais entendu cette expression que là, dans la bouche de X***, dans ce café... Dans l’acception de cocu plus ou moins consentant et pitoyable, je n’ai jamais entendu employer cette expression. »

– Un ami herstalien (de la périphérie liégeoise), m’écrivait en 2004 : « Je pense que cette expression ne s’emploierait pas à propos des importateurs de filles de l’Est ou d’Afrique particulièrement actifs en ce moment. À mon humble avis, le mangeur de blanc est, si je puis risquer cette expression, un non-travailleur artisanal, vivant des rentes que lui procure sa femme, voire sa ou ses filles. Une sorte de Prosper, dans son coin, surveillant son gagne-pain. Un julot pour roman de Francis Carco, si tu vois ce que je veux dire. J’observe au passage que Jean Haust ne dit rien. Était-il chaste au point d’ignorer l’existence des putains et de leurs protecteurs. La question mériterait d’être posée. Mais à qui ? »

– Sur Internet, en date du 2 juillet 2012, avec reprise le 17 janvier 2013, je découvre un blog de Neupré XX (prov. de Liège), sous la rubrique intitulée « Les mangeurs (magneûs) en wallon », la mention suivante : « MAGNEU D’ BLANC Mangeur de Blanc, Souteneur. Par extension, celui qui vit au crochet de sa femme. » (cf. supra)

– Le 12.06.2007, un certain Pierrot, parlant des prostituées bruxelloises, écrit ceci XX : « Maske van plaisir. Dans les années trente, la marraine de mon frère avait une maison sur la place et elle vendait des fruits. Ket, j’abitais [sic] rue des Navets (rue d’Anderlecht, place Fontainas). Souvent le soir on allaient [(resic] regarder les maskes van plaisir dans leur vitrine et après quelques minutes leur mangeur de blanc nous courrait [reresic] après. Sur la place Fontainas, il [y] avait un abri avec des fleurs dessus. Dans l’impasse de la Barbe il y avait aussi le café d’étudiants À LA JAMBE DE BOIS. Des bagarres mémorables entre nous et les fils de Ministres (année 1950). »


Un champ sémantique labile aux contours inconsistants

Et si l’expression était une expression passe-partout que chacun habillerait à son gré, à sa fantaisie ? Quelques découvertes d’hier et d’aujourd’hui me portent à le penser.

– Une Ensivaloise, aujourd’hui décédée, – Ensival fait partie de l’entité de Verviers, cité lainière par excellence... là où « on faisait dans les draps » – m’a raconté il y a une dizaine d’années l’anecdote suivante : « À la fin de la guerre, à Ensival, rue Maréchal, la propriétaire d’un magasin spécialisé dans la vente de robes de mariées a quitté subitement son mari afin de s’envoler vers l’Amérique avec son GI. Quelques mois plus tard, ils sont revenus tous les deux et la dame réinstalla alors son magasin rue du Brou (Magasin Nellie ou, Nelly). L’Américain en question a toujours vécu à Verviers et les gens le surnommaient le mangeur de blanc. »

– Selon un internaute verviétois, et toujours aux environs de 2005, si l’expression « mangeur de blanc » désignait celui qui vit des charmes de son épouse, elle s’est « généralisée à tous les profiteurs, par exemple à un enfant qui, adulte, continue, malgré une situation [= un emploi], à vivre du gîte et du couvert gratuits chez ses parents ». Voilà donc un profiteur qui jouerait les Tanguy (selon le film d’Étienne Chatiliez, sorti en 2001).


En musardant sur la toile... on découvre qu’un même signifiant recouvre des signifiés si divers qu’il en arrive à ne plus rien signifier du tout ; en fait, il est devenu une sorte de schmilblick fourre-tout... Voici quelques exemples assez éloquents.

Les journaux belges qui proposent une version numérique de leurs publications permettent aussi à leurs lecteurs de s’exprimer et d’y publier leurs commentaires.
– Commentant un article publié le 08/09/2012 et intitulé « La Belgique, terre d’exilés fiscaux discrets et ‘paradis des rentiers’ », des lecteurs y sont allés de leur commentaires. Un certain Vladimir Schaparow a écrit : « C’est grâce à son INTELLIGENCE et son TRAVAIL que Liliane de Bettancourt est devenue milliardaire ? Ou est-ce dû au travail de ses innombrables ‘collaborateurs’ ?

À part Madoff, aucun de ces rupins ne s’est enrichi tout seul, TOUS ont su compter sur la richesse produite par leurs TRAVAILLEURS. Et là où ces travailleurs sont imposés sur leur salaire, vous estimez que ces patrons devraient en être exemptés ? Je ne comprends pas votre logique, à moins que vous soyez adeptes de ces profiteurs, ce qu’on appelle des ‘mangeurs de blanc’. »

À quoi un autre lecteur, Édouard de la Bessières, a répondu : « L’oreal fut créé grâce au travail et à l’intelligence d’André Bettancourt. Il en a fait bénéficier sa veuve et ses descendants. Si cela vous gêne, nul ne vous a empêché de faire valoir vos immenses talents d’homme entreprenant ! Quant à l’expression ‘mangeur de blanc’, achetez donc un dictionnaire et vérifiez avant de vous ridiculiser aux yeux de lecteurs de ce site. Ceci n’est en rien une admonestation, uniquement un conseil. »

– Dans le même journal, cette fois le 18 décembre 2013, en réaction à un article intitulé « Stromae et son refus d’aller aux Enfoirés : ‘J’aurais l’impression d’en profiter’ », j’ai relevé l’échange suivant : (de Bernadette Bara) « Bravo Stromae, tu le sais, tu peux défendre ou pas toutes les causes tu seras quand même jugé en bien ou en mal ! Tu sais de quoi est fait l’humain ! Tu es super médiatisé et bien entendu très critiqué, mais nous Belges tu le sais tu nous fais rêver et vivre de beaux moments tendres et attachants et moi je n’en demande pas plus. Fais ta vie, vis ta vie grand comme nous on dit chez les Belges un peu simples, bravo gamin. Une mamy un peu vieille. »

Cette réflexion a entraîné, sous la signature de Claude Grégoire, la réplique suivante : « Au moins, lui, c’est pas un mangeur de blanc ! ». À la suite de quoi, un certain Pierre Paul Maquet a cru bon d’ajouter le commentaire que voici : « Lors du dernier appel aux dons pour les Philippines, il y a eu des dizaines d’avis dont la constante était : ‘Je ne donne pas parce qu'il y a plein de pauvres ici et puis, on ne sait pas où va l’argent.’ Ici encore, on démolit en gros les ‘profiteurs qui se font de la promo en buvant du champagne dans des hôtels de luxe en prétendant lutter contre la précarité’. Moi il me semble que si des gens font un show qui rapporte beaucoup de sous aux Restos et qu’ils s’y retrouvent en se faisant un peu de promo, c’est très bien. Et si au passage ils se dorlotent (et je n’ai jamais lu que c’était aux frais des Restos), ça ne me dérange pas.

Pour revenir à Stromae, il est encore libre de faire ce qu’il veut, personne ne sait ce qu’il fait pour aider son prochain et ça ne regarde que lui et sa propre conscience. Il me semble tout de même que ça colle bien au personnage que j’ai déjà rencontré et que j’ai trouvé discret, réservé et modeste. » Difficile de dire, dans ce cas, à quoi pensait l’auteur de la référence en faisant allusion au mangeur de blanc... Probablement pas à un cannibale... Encore que...

Un autre exemple encore. Michel (le 11 mars 2011) écrit : « Je crois que les gens deviennent de plus en plus analphabètes avec les publicités à la con et autres argots communautaires... : je suppose que l’on discute de « Parabène » ? Ecrivez-vous benzène « benzen » ?... Retournez donc à l’école primaire !... Et de toute façon, avec ou sans Parabène, les cosmétiques, c’est de la crasse qui fait vivre les mafieux, les mangeurs de blanc ! » Le mangeur de blanc n’est donc qu’un profiteur XX.

Les commentaires de sites Internet et de journaux sont souvent plats, grossiers, et prennent souvent plus de place qu’ils n’ont d’intérêt. On se contentera donc de ces quelques exemples.


Mais d’où nous vient donc cette expression ?

Dans les dictionnaires

Selon le TLF (Trésor de la langue française) 4, 767b, consultable désormais sur Internet, sub v° bouffeur, il faut retenir aussi le « bouffeur de blanc : Souteneur ». (Attesté dans Ch.-L. CARABELLI, [Lang. pop.] ; BRUANT 1901, p. 306 et FRANCE 1907). XX »

Il semble admis que l’expression qui retient mon attention, et qui s’est figée dans l’argot de Belgique, est d’origine française et plus particulièrement parisienne.

À ma connaissance, on trouve une des plus anciennes mentions de cette expression, en 1718, dans le Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial « avec une explication très fidèle de toutes les manières de parler burlesques, comiques, libres, satyriques, critiques et proverbiales qui peuvent se rencontrer dans les meilleurs Auteurs, tant Anciens que Modernes. Le tout pour faciliter aux Étrangers, et aux Français mêmes, l’intelligence de toutes sortes de livres » (selon l’éditeur), par Philibert LE ROUX (Amsterdam, chez Zacharie Chastellain).

L’auteur définit ainsi le « Mangeur (mangeux) de Blanc. Libertin, proxénète, souteneur qui ‘vit du blanc (sperme) dépensé par les autres hommes’. ». Le « blanc » désignerait aussi le sexe féminin et l’argent. On ne peut pas être plus réaliste.

On retrouve aussi le « mangeur de blanc » dans le Dictionnaire du bas-langage ou des manières de parler usitées par le peuple de Charles-Louis d’Hautel, (Paris, Collin, 1808) XX , t. 2, p. 108, que l’auteur définit comme suit : « Mangeur de blanc. Homme sans délicatesse, sans honneur, et de mauvaise vie, qui se laisse entretenir par des femmes. »

En 1861, dans son dictionnaire qu’il intitule Les Excentricités du langage français (Paris, Aux bureaux de la revue anecdotique, 2e édition), p. 128, Étienne LORÉDAN LARCHEY définit le mangeur de blanc comme un « homme se faisant entretenir par une femme ».

On trouve des définitions semblables dans le Dictionnaire érotique moderne d’Alfred DELVAU (Bâle, Imprimerie de Karl Schmidt, 1864) : « souteneur de filles, maquereau qui vit du sperme dépensé par les autres hommes, avec de l’argent, au profit de sa maîtresse », dans le Dictionnaire historique, stylistique, rhétorique, étymologique, de la littérature érotique, précédé d’une introd. sur les structures étymologiques du vocabulaire érotique, de Pierre Guiraud (Payot, 1978). Etc. On le trouve aussi à l’adresse suivante XX, qui reproduit le dictionnaire de Larchey et où Mangeur de blanc est commenté de la sorte : « Homme se faisant entretenir par une femme. » Et les auteurs renvoient à Charles-Louis. D’HAUTEL avant de préciser : « Mangeur de blanche serait plus juste. »

Napoléon HAYARD, dit « l’empereur des camelots », dans son Dictionnaire Argot-Français XX (1907) traduit : « Mangeur de blanc : Souteneur. »
Dans son ouvrage Le bouquet des expressions imagées (1990), Cl. DUNETON écrit : « mangeur de blanc, h. vivant de la prostitution. ‘Le mangeur de blanc se fait donner des appointements fixes par ses maîtresses’. (Almanach du débiteur). »

J’emprunterai mes dernières citations au Dictionnaire des mots du sexe d’Agnès PIERRON (Paris, Balland, 2010, 925 pages). Sub v° blanc (p. 267), je lis : « Un mangeur de blanc : un souteneur. Image de l’individu qui vit de la prostitution, du sperme des clients. Également : un homme qui avale dans le sexe de la fille le sperme du client – ou de l’amant – précédent. Équivalent : déguster un petit (avaler le sperme). – Manger du blanc : vivre aux dépens d’une femme. Et sub v° manger (p. 543), un mangeur de blanc est « un souteneur. Il fait travailler les femmes qui elles-mêmes vivent du blanc, du sperme ».

Le dictionnaire Argoji Argot français classique qui répertorie plus de 34 000 mots d’argot de 1827 à 1907 écrit : « Virmaître 1894 magasin de blanc Maison de tolérance. Il est assez difficile d’expliquer le pourquoi de cette expression ; elle vient sans doute de ce que dans le peuple, tous ceux qui vivent de la femme sont des mangeurs de blanc. La maquerelle est dans ce cas (Argot du peuple). N. »

Un autre dictionnaire d’argot : BOB, Dictionnaire d’argot : « MANGEUR, homme qui vit aux dépens des filles (mangeur de blanc). « Elle voulait me conduire à la chambre du mangeur, mais comme je savais le chemin tout aussi bien qu'elle, je la remerciai de son obligeance » (1828). / MANGEUR DE BLANC, n. m. Souteneur, maquereau ; homme qui vit aux dépens des autres, et particulièrement des femmes qu’il livre à la prostitution. Note de bas de page de Scheler, éditeur de VAL : Synonyme de souteneur, expression wallonne, également courante dans le Nord XX.


Dans la littérature

Dans une œuvre anonyme du XVIIIe siècle, La Cauchoise, ou Mémoires d'une courtisane célèbre, dans Histoire de Marguerite, fille de Suzon, nièce de D** B***** (1784), on lit : « pauvre couturière a été, entre les serres cruelles et les gosiers avides de ces abominables mangeurs de blanc, une des plus déplorables victimes du putanisme. Toujours malheureuse dans sa profession [...] la proie journalière de ces impitoyables vautours XX ». Pas de doute, l’expression, dépréciative, semble concerner la prostitution.

En 1886, Jules VALLÈS, dans L’Insurgé (Jacques Vingtras – III) a écrit : « C’est moi qui ai tordu le poignet de l’ivrogne – il avait ramassé un couteau sur une assiette à fromage, et allait frapper le ventre de la femme. Je l’ai poussé jusqu’à la porte de l’allée, que j’ai refermée sur lui, et contre laquelle il a cogné plus d’un quart d’heure, en criant : « Viens-y donc, le mangeur de blanc XX ».

À Aristide BRUANT, chansonnier et écrivain, on doit la citation suivante : « Le résultat fut que, bientôt, dans le demi-monde et quart de monde, tout ce qu’il y a de dégrafées, d’agenouillées, d’horizontales, de momentanées et de demi-castors, déclarait avec un ensemble des plus touchants que le moutardier était un sale poseur de lapins, un mangeur de blanc, un maquereau pas frais... et même pis. » (Les Bas-fonds de Paris, 1897, p. 303).

Alphonse LEMERCIER DE NEUVILLE, dans sa pièce de théâtre Les Jeux de l’amour et du bazar, en 1883, in Théâtre érotique français du XIXe siècle (Jean-Jacques Pauvert et Terrain vague, 1993), fait dire à son personnage Dorante :
« Je vais tâter du métier de miché XX , mais je vois que celui de mangeur de blanc est encore le meilleur.
Mangeons du blanc ! Mangeons du blanc !
Ça vaut mieux que d’ manger du flan !
Mangeons du blanc jusqu’à l’aurore.
Et que Phœbus nous trouve encore
Mangeant du blanc. »

Nonce CASANOVA, dans Le journal à Nénesse (1911) écrit : « Il n’y a plus que du raisiné et du jus de mirettes, de la débine, de la crève, le macchabée d’une chauffeuse de pieu, le bouclage à perpète d’un bouffeur de blanc, un souffle, un rien ! XX »

Marguerite BONNET, grande spécialiste des œuvres de Breton, a publié dans la revue « Art et psychanalyse », numéro intitulé « Folie et psychanalyse dans l’expérience surréaliste », un article sur le séjour de Breton à Saint-Dizier intitulé « La rencontre d’André Breton avec la folie, Saint-Dizier, août/novembre 1916 ». À la note 27 XX , on peut lire : « Le titre renferme très probablement une allusion à une lettre de Valéry. Breton lui ayant proposé de faire pour son compte des observations sur ses malades et lui ayant demandé un « plan d’enquêtes », la réponse de Valéry dans les tout derniers jours d’août (Breton la copie pour Fraenkel le 3 septembre) est peut-être à l’origine de cette page :(...) Il y avait pourtant une femme très belle, d’une pâleur égale de vélin ; toute échevelée ; des crins immenses et des yeux du plus noble noir, identique ; une Alceste, toujours, toujours désespérée ; une Cassandre à hurler sur les bastions de Troie : mais du matin au soir cette albâtre gueulait : ‘Je ne suis pas une mangeuse de blanc !’ XX »


Synthèse

L’expression « mangeur de blanc » est toujours péjorative.
La nature du blanc, selon les locuteurs et les époques, peut changer très fort : littéralement, cela va du sperme (que l’on produit au terme d’un « acte inapproprié », comme auraient dit Bill Clinton et DSK, ou dont on exploite le bénéfice vénal) au blanc d’œuf – on aurait pu imaginer du blanc de poulet – et, métaphoriquement, un « mangeur du blanc » – le contour sémantique de la formule s’étant fort étiolé – peut tout aussi bien désigner toutes sortes de profiteurs : ou un Tanguy qui tarde à quitter le nid familial ou, en recourant à de curieux calembours, le conjoint de la patronne d’un magasin de robe blanche de mariée, ou le chanteur Stromae dont on affirme qu’il n’est pas cannibale (éventuellement).

Par ailleurs, il est toujours difficile de savoir, quand on utilise un mot, une expression, si on parle le français standard ou académique, ou un français régional quelconque (belgicisme), ou si on traduit littéralement une expression dialectale... Dans notre pays, en effet, la locution semble exister à la fois sous forme d’expression française familière ou argotique et dans nos langues régionales.

Walther von Wartburg, l’auteur du FEW, a probablement raison quand il qualifie cette expression d’argot belge, puisqu’elle semble circonscrite à notre territoire francophone. Il reste une question non résolue : d’origine française, et plus probablement parisienne, comment expliquer que cette expression se soit ancrée sur notre territoire francophone, alors qu’ailleurs elle ne semble pas vraiment avoir survécu ?

Revenons-en à notre Aimable Castanier du début, le pauvre boulanger cocu « à l’insu de son plein gré » qui fait la leçon à sa femme fugueuse et volage en feignant de sermonner sa chatte Pomponette. Dans le même registre que Pagnol, j’ai trouvé sur Internet une belle nouvelle à la chute inattendue que signe l’auteur belge Maurice Stencel et qu’il intitule tout simplement « Le mangeur de blanc » XX. Lisez-la, cela vaut le détour.


Guy BELLEFLAMME

Notes

  1. Je remercie chaleureusement Martine Willems et Jean Lechanteur qui, par leurs propres recherches, ont considérablement enrichi ma documentation de départ.
  2. Tel est le commentaire d’Élisée Legros. Selon J.L., « désigne probablement les petites rues mal famées (comme Sur les foulons, Hongrée), entre le quai de Maestricht et Feronstrée ». à gôche faisant penser plus aux petites rues qu’au quai lui-même.
  3. La référence BL renvoie au Dictionnaire du bas-langage ou des manières de parler usitées parmi le peuple (Paris, 1808) et Lc renvoie à J. Lacassagne, L’argot du milieu (Paris, s. d.) [1928]. Je tiens à remercier notre consœur Martine Willems qui, à l’époque, m’avait révélé ces informations cueillies dans le FEW, en y ajoutant le commentaire suivant : « Le wallon magneû d’ blanc n’est peut-être qu’une transposition du français et Haust ne l’aura pas considéré comme wallon. ». Martine Willems m’avait aussi indiqué des références dans le BTD et dans le TLF ; elle avait également fait quelques recherches personnelles.
  4. http://neupre.blogs.sudinfo.be/archive/2013/01/14/les-mangeurs-magneus-en-wallon.html
  5. http://sofei-vandenaemet.skynetblogs.be/archive/2006/12/26/saint-gery.html
  6. www.danger-sante.org/produits-sans-paraben
  7. Hector France, Dictionnaire de la langue verte. Archaïsmes, néologismes, locutions étrangères, patois. Librairie du Progrès. – Aristide Bruant, L’argot au xxe siècle. Flammarion, 1901.
  8. Dictionnaire du bas-langage ou des manières de parler usitées parmi le peuple (1808), « ouvrage dans lequel on a réuni les expressions proverbiales, figurées ou triviales, les sobriquets, termes ironiques et facétieux, les barbarismes et solécismes, et généralement les locutions basses et vicieuses que l’on doit rejeter de la bonne conversation ». Il y définit ainsi le mangeur de blanc : « Homme sans délicatesse, sans honneur, et de mauvaise vie, qui se laisse entretenir par des femmes. »
  9. http://abu.cnam.fr/DICO/excent/m.html
  10. www.dicoperso.com/list/4/index.xhtml
  11. http://dvlf.uchicago.edu/mot/mangeur
  12. www.languefrancaise.net/Source/2837>
  13. « Souteneur » telle est la traduction, que Georges Belle donne de l’expression dans l’édition qu’il propose, en 1987, pour France Loisirs, p. 40.
  14. Client de prostituée.
  15. www.languefrancaise.net/Source/454
  16. http://entretenir.free.fr/breton3. html
  17. Notons qu’à la mangeuse de blanc que voici fait écho un mangeur de blanche cité supra (p. 8). Mais l’une n’exerce pas, à l’évidence, la même fonction que l’autre.
  18. Voir www.aloys.me/article-le-mangeur-de-blanc-une-nouvelle-de-maurice-stencel -93323070.html

Metadata

Auteurs
Guy Belleflamme
Sujet
L'expression argotique "Mangeur de blanc"
Genre
Chronique d'histoire littéraire
Langue
Français et wallon
Relation
Revue Wallonnes 2-2016
Droits
© Guy Belleflamme, 2016